Home, sweet home - les fantômes du passé

Certains endroits abandonnés semblent avoir gardé presque intacte la mémoire de ce qu'ils furent par le passé. A l'occasion d'une visite impromptue, j'ai pu découvrir l'un deux, resté à l'abri de la dégradation et des regards extérieurs. Comme suspendu hors du temps, mais en sursis pour seulement quelques mois encore avant de disparaître définitivement. Une visite qui ne peut laisser indifférent tant sont encore présents les fantômes des occupants dans chacune des pièces de ce grand bâtiment.

Je n'ai pas pour habitude de photographier des friches ou des installations complètement délabrées pour ce qu'elles sont. Vides, abîmées et ayant souvent perdu jusqu'à leur âme, il n'en reste plus alors que l'ombre de décors juste bons à d'éventuelles mises en scène de scénarii post-apocalyptiques. Certains photographes traquent ces lieux, mettant un point d'honneur à vous les présenter dans leurs moindres détails à grands coups de photographie HDR, dans lesquelles je n'arrive à voir le plus souvent qu'une pornographie de la désolation (*). Mais quand l'occasion s'est présentée d'accompagner un ami dans un home à présent fermé et inaccessible au public, je n'ai pas regretté de l'y avoir suivi. Loin des images habituelles que vous pourrez trouver ailleurs, c'est un endroit où le temps semble s'être arrêté, un endroit où presque tout est resté en place comme à la suite d'un départ un peu précipité. 

   

Dans la salle de vie commune, des chaises placées en cercle semblent attendre le retour des pensionnaires. On s'attend presque à entendre le son de leurs voix. Des chuchotements, des rires ou de longs silences. Seules les tables manquantes rappellent que les pensionnaires ne reviendront plus. Dans la cuisine, les assiettes empilées attendent en vain le service d'un repas imminent qui n'aura pas lieu. Les plaques de la cuisinière resteront froides. La boîte de sel et les pots de condiments posés sur le rebord de l'évier ne donneront plus de saveur à aucun plat. 

   

A l'étage se trouvent les chambres. Bien que la plupart des effets personnels aient été emportés, l'essentiel du mobilier est resté sur place. Fauteuils, tables, armoires et lits sont désormais les seuls occupants de chambres parfois petites, parfois plus spacieuses. Au détour de certains couloirs, on trouve des espaces de repos. Une lampe, des livres et quelques souvenirs renversés. Une paire de pantoufles semble avoir été oubliée à l'endroit même de son dernier usage. Quelques courriers mentionnant leur destinataire sont devenus la seule mémoire du nom des anciens habitants.


Des lits abandonnés occupent chacune des pièces, presque sans exception. Certains sont encore recouverts de draps et de couvertures, jetés de manière éparse. Des déambulateurs et quelques chaises roulantes semblent avoir été laissés à l'endroit précis où ils furent utilisés pour la toute dernière fois. En fermant les yeux l'espace d'un instant, il ne faut pas beaucoup d'imagination pour voir les fantômes de ces personnes âgées, peinant à se déplacer au travers des pièces pour rejoindre un fauteuil ou un lit.

   

Dans cet endroit à présent privé d'électricité, la seule lumière est celle des fenêtres. Dans cet espace fermé qui fut pour beaucoup de pensionnaires leur dernier lieu de résidence, elles ont peut-être été le seul lien qui leur a permis de garder un contact avec le monde réel. Le monde dans lequel la plupart d'entre nous évoluent sans toujours bien comprendre la chance que nous avons. Ces fenêtres ont parfois été un dernier passage pour une vie par procuration, passée à observer les gens et les choses banales qu'ils font à l'extérieur, tout au long du jour. Tout au long de chaque jour. Au rythme des heures qui passent et se ressemblent, à tel point qu'elles ne semblent pas changer. Ce n'est peut-être pas un hasard si près de l'une de ces fenêtres se trouve posé un réveil oublié, devenu inutile. Arrêté, il marque toujours la même heure. Celle d'un après-midi comme tous les autres.

   

Merci à mon ami Marc qui m'a donné accès à cet endroit un peu suspendu hors du temps, pour l'espace d'une heure. Une heure, c'est très peu pour photographier un tel lieu. Mais c'est déjà beaucoup d'avoir eu l'opportunité de le faire. De le faire aussi avec l'espoir d'avoir pu vous faire partager un peu de l'émotion que j'ai ressentie en le visitant.

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(*) Toutes les images que vous verrez ici n'ont fait l'objet d'aucun artifice pour la gestion de l'exposition. C'était un choix personnel quant à l'approche de la lumière. C'était peut-être aussi une manière de respecter l'ambiance du lieu et ses anciens occupants.

4 commentaires:

  1. Enjoyed photography!
    Have to say though that I think I missed much not being able to read this in original writing and I'm sorry for that.
    Your thoughts about completely abandoned places were exactly the same as mine but I didn't realize it until I read this. I haunted those places and sometimes there was just something missing, you told me what was missing. The soul.

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  2. I am sorry to feel that my capacity of writing a proper English are not high enough, otherwise it would have been my pleasure. Happy to know that we share the same feeling about abandoned places. Indeed, when the soul is missing, not much is left of them.

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  3. Très belle série Patrick, j'adore aussi ces lieux abandonnés qui ont gardés une âme. Capter l'ambiance et restituer ton ressenti du moment, l'extase ! Le texte est émouvant et traduit une grande sensibilité.

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  4. Merci Philippe, heureux que cela te plaise :-)

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