L'ensemble vide

L'intersection de deux ensembles, le vôtre en tant que photographe et celui des autres en tant que spectateurs, c'est ce nouvel ensemble plus restreint dans lequel vous êtes forcé d'évoluer à partir du moment où vous montrez vos photographies et observez les réactions de ceux qui les regardent. La taille qu'atteindra cet espace commun peut être un objectif ou une simple conséquence de votre démarche. 

S'il est entendu que l'objectif d'un professionnel en quête de commandes est de faire correspondre au mieux son propre ensemble à celui de ses clients, la position de toute autre personne est floue à souhait. Faire des choses qui plaisent est le gage d'une large audience. Faire des choses qui vous plaisent est le gage d'une satisfaction toute personnelle. Où se trouvent à présent l'objectif et la conséquence, et quelles sont les implications sur cette intersection?

Faire des choses qui plaisent en le plaçant sous l'angle d'un objectif à atteindre ne demande pas de très longs développements. C'est une pure question de marketing, qui consiste à identifier un public cible et à ratisser le plus largement possible au sein de celui-ci en vue de maximiser des retombées tangibles. C'est le job logique d'un professionnel qui ne souhaite pas mourir de faim. C'est parfois la démarche d'un amateur assoiffé de reconnaissance. Les bénéfices étant clairement identifiés, qu'en dire de plus ?

Faire des choses qui vous plaisent est ce que vous êtes en droit d'espérer de toute activité volontaire et réfléchie, a fortiori s'il s'agit d'une forme d'expression personnelle. Cela pourrait s'arrêter là et votre bulle personnelle pourrait rester fermée aux autres. Elle l'est dans une plus ou moins large mesure selon les disciplines s'il n'y a pas de souhait explicite de représentation devant un public, au sens le plus large du terme. Et qui dit public dit intersection de ce que vous faites avec ce que les autres en voient. Le choc des deux ne peut que vous amener à vous poser des questions sur la valeur de votre travail, jusqu'à vous questionner sur le sens même qu'il peut y avoir à le montrer. Une multitude de situations peuvent se présenter, aucune d'elles n'étant exclusive selon le moment ou le sujet. Vous pourriez aimer ce que vous faites, mais sembler être le seul dans ce cas. Vous pourriez vous rendre compte que ce que d'autres aiment de votre travail est ce qui vous intéresse le moins dans celui-ci. Vous pourriez vous demander si un avis négatif semblant majoritaire est juste l'avis du plus grand nombre ou possède au contraire une valeur intrinsèque réelle quant à la qualité de ce que vous produisez. Enfin, vous pourriez aussi tomber sur des personnes vous disant que vous feriez simplement mieux d'arrêter et de virer vos photos du web, car elles vous discréditent trop. (*)

        

Il est entendu que tous les publics ne se valent pas et que la valeur reconnue d'un travail est donc une quantité hautement subjective dès que l'on déborde des aspects techniques sur lesquels la plupart des gens formés peuvent s'entendre, indifféremment de leurs préférences (**). Il est possible que le public dont vous héritez n'est pas le bon, que ce soit parce qu'il n'a pas du tout d'attente pour ce que vous proposez, ou au contraire parce qu'il ne peut que vous être acquis pour des raisons qui sont plus liées à ce que vous êtes qu'à ce que vous faites. Exposer les choses sous cet angle ne vous attirera pas forcément la sympathie des gens concernés, personne n'appréciant qu'un auteur estime qu'il n'a pas le bon public (ce qui n'empêche pas pour autant des publics différents de se mépriser ouvertement avec une parfaite réciprocité; la vie est pleine de paradoxes).


Faut-il donc vous soucier de l'intersection auteur-public en ayant comme objectif de l'optimiser, ou au contraire faut-il apprendre à s'en détacher pour que le public que vous aurez ne soit plus qu'une conséquence logique de ce que vous présentez ? Faut-il prendre la mesure de ce que le public vous dit, ou au contraire celui-ci doit-il rester clairement subordonné à votre démarche très personnelle ? Le choix de l'une de ces deux options va probablement conditionner lourdement la façon dont vous travaillerez et la source de votre motivation à poursuivre sur le long terme. Demandez à chacun des auteurs vous entourant ce qu'il en pense, je suis convaincu que vous aurez des avis très divergents sur le sujet, où toutes les nuances auront leur place entre ces deux extrêmes. 

    

Vous aurez constaté que plusieurs photographies émaillent ce billet sans que rien n'en ait été dit jusqu'à présent. Elles sont très différentes et n'ont que deux points communs. Le premier est qu'elles sont toutes issues de la même séance de prise de vue. Le second est qu'elles m'ont toute appris quelque chose à titre personnel, que ce soit sur l'usage de la lumière, des poses ou de ce qu'elles peuvent véhiculer comme idée. Toutes ont probablement des publics différents. Certaines vous plairont, d'autres pas du tout. Vous les détesterez peut-être toutes en les trouvant sans intérêt, voire mêmes mièvres. Mais toutes sont une part de ce que je fais et qui me plaît de faire pour le moment, en essayant de dire quelque chose des personnes qui y apparaissent.

    

Personne ne peut savoir de quoi son propre futur sera fait. C'est ce qui en fait tout son intérêt sur le plan personnel, puisqu'à quoi bon un futur sans surprise qui serait à l'image d'un présent figé, se renouvelant à l'identique jour après jour ? Il se pourrait que j'arrête de faire des photos de studio. Il se pourrait que j'arrête de photographier tout court. Ou alors il ne s'agit que du sentiment de devoir faire une pause, plus ou moins longue, pour s'accorder du temps et répondre à ces questions ? L'avenir le dira, lui seul le sait.

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(*) C'est un propos qui m'a été tenu très récemment par quelqu'un dont je ne dévoilerai pas le nom; il faut juste savoir ici que de telles personnes existent. 

(**) C'est déjà en soi une vision très idéalisée des choses, puisque le respect ou le non-respect des standards techniques n'est jamais totalement dissocié des aspects pour lesquels ces standards sont ou ne sont pas utilisés; la littérature grouille de règles à suivre qui sont brisées intentionnellement par des auteurs, avec succès.

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