Je me contenterai simplement de dire que je n'adhère pas à cette idée postmoderne selon laquelle la photographie ne serait qu'un moyen conceptuel d'évoquer notre relation au monde, qui se serait sublimé en se dégageant de toute contrainte esthétique et de toute considération technique, et dont le seul objectif serait de parler de tout et de rien (mais surtout de rien, ou alors des mêmes poncifs postmodernes éculés que l'on nous sert depuis plus de 40 ans, ad nauseam).
Alors, chers lecteurs, à une époque où l'on est presque moralement tenu de présenter des choses moches, banales ou mal torchées que l'on justifiera à l'aide d'un discours pédant et dans lequel on se défendra de toute recherche esthétisante (ce terme étant devenu un gros mot dans certains milieux artistiques), nous allons faire un pied de nez et singer, avec une touche new age. Je m'en vais donc vous présenter "la démarche d'un artiste qui - au-delà de ce qu'est l'arbre en tant qu'entité organique à laquelle nous sommes irrémédiablement liés de par notre condition biologique - déconstruit la relation que nous entretenons avec lui, en témoignant du caractère inquiétant et parfois violent du monde végétal grâce à sa conceptualisation abstraite, ce qui nous renvoie en miroir nos propres peurs et comportements irrationnels; on ne saurait être plus d'actualité à une époque où nous ne pouvons que nous interroger sur l'avenir de notre planète et de cet alter ego qu'est l'arbre, qui domine le règne végétal alors que nous dominons le règne animal" (2).
Mais dans un langage honnête, ce billet parle simplement d'une autre manière d'utiliser son appareil photo pour regarder autour de soi, sans avoir la prétention de vouloir pour autant tenir un discours sur ce qui nous entoure, mais plutôt en nous rappelant que la beauté est partout et souvent plus proche que nous le pensons. Car toutes ces photos ont été prises à 10 mètres de ma porte d'entrée à la nuit tombante ou tombée, le long d'une haie et d'une rangée d'arbres éclairés par la lumière de deux réverbères. Il n'y a aucun montage, juste la réalité, mais vue autrement par l'appareil (ainsi que quelques recadrages et réglages de couleur en raison de l'éclairage au sodium, qui est une plaie pour la photographie en couleur).
Je ne peux pas (en fait je ne veux pas) vous donner de recettes pour réaliser les quelques images qui suivent. Je pense que les plus expérimentés d'entre vous auront une bonne idée de l'approche générale, qui consiste à bouger/tourner/zoomer, avec ou sans pied, et en prenant des repères bien précis. Parce que même si vous ne serez jamais capable d'obtenir exactement deux fois la même image, ça ne veut pas du tout dire que ces images ont été faites complètement au hasard, en comptant sur la chance. Loin de là. Et si je ne veux pas vous expliquer les trucs et ficelles, c'est parce que je reste convaincu que la meilleure manière d'appréhender l'abstraction est de la pratiquer et de vous tromper. Ici, vous apprendrez très vite de vos erreurs, mais vous aurez à faire malgré tout beaucoup d'essais. Je vous laisse le plaisir de découvrir, comme j'ai moi-même eu ce plaisir.
S'il n'y a donc pas de règles générales à suivre quant à la façon précise de réaliser ce type de prise de vue, il n'en reste pas moins que notre œil aime à se raccrocher à des éléments nets dans une image, même si ces éléments restent très mineurs et sont noyés dans un océan de flou. J'imagine que ceci est lié à la façon dont notre cerveau traite les informations qu'il reçoit par l'intermédiaire de nos yeux. Il n'est pas facile de trouver le juste compromis, en faisant disparaître la plupart des éléments identifiables tout en conservant l'apparence qu'il reste quelque chose à voir. Dans le domaine de l'art le plus abstrait, c'est le sens que nous donnons à ce quelque chose de restant qui peut mener à des impressions et des sentiments largement variables d'une personne à l'autre, ceci pouvant expliquer pourquoi nous n'avons pas tous la même sensibilité devant la même image (certains n'y voyant qu'une purée de pixels, tandis que d'autres arrivent à dégager un effet d'ensemble).
Je ne sais pas du tout si je poursuivrai ou non dans une telle voie, mais le fait d'avoir entrouvert cette porte m'a été très bénéfique, je pense. D'une part en m'obligeant à faire "quelque chose d'autre", très loin de ce qui m'occupe en général. D'autre part en me montrant que, en effet, la photographie n'est qu'une technique et que la peinture en est une autre, mais que la frontière entre les deux est plus tenue qu'on ne peut le penser. Enfin et surtout, en me rappelant que l'art brut se moque des discours. Il n'en a que faire, il peut exister pour lui-même. Il restera toujours à portée de main de ceux qui veulent bien consentir les efforts nécessaires pour l'apprivoiser, et le beau en est une qualité intrinsèque. N'en déplaise à ceux qui pensent qu'un objet quelconque peut revendiquer ipso facto le statut d'oeuvre d'art si on lui adosse une habile rhétorique (3).
Même si j'avais au départ posté la plupart de ces photographies en y associant un titre, je ne les ai pas repris ici. Je pense que savoir qu'il s'agit d'arbres est suffisant pour donner un contexte si nécessaire et permettre à chacun d'imaginer ses propres titres (par exemple en les associant à la personnalité de chacun de ces arbres, comme j'avais tenté de le faire). C'est peut-être aussi une manière de prolonger l'image, en donnant la liberté à celui qui les regarde de tenter de mettre des mots sur ses propres impressions. A condition qu'il le souhaite et si ces images le touchent, bien entendu, puisque dans le domaine artistique tout est à la base une affaire de ressenti personnel, et non pas de discours.
_______
(1) en guise de porte d'entrée, je vous renvoie vers le texte publié sur le site du Centre Pompidou de Paris, dont le contenu ainsi que les images données en exemple sont bien à la hauteur du désastre auquel nous assistons; il faut leur reconnaître cette habilité à parler d'art sans même montrer d'art, ce qui est caractéristique de pas mal d'aspects de l'art contemporain : un laborieux verbiage autour de pas grand chose.
(2) si un jour j'expose ces photos, rappelez-moi de demander au commissaire d'insérer cette prose dans le folio de présentation.
(3) si le sujet vous intéresse, vous pouvez prolonger cette lecture via quelques autres articles que j'ai cherchés après avoir écrit tout ceci, suite à une discussion avec un ami blogueur. Deux portes d'entrée (parmi beaucoup d'autres possibles) qui traitent plus généralement de l'art contemporain, dont la photographie n'est bien entendu qu'une des composantes :
_______
(1) en guise de porte d'entrée, je vous renvoie vers le texte publié sur le site du Centre Pompidou de Paris, dont le contenu ainsi que les images données en exemple sont bien à la hauteur du désastre auquel nous assistons; il faut leur reconnaître cette habilité à parler d'art sans même montrer d'art, ce qui est caractéristique de pas mal d'aspects de l'art contemporain : un laborieux verbiage autour de pas grand chose.
(2) si un jour j'expose ces photos, rappelez-moi de demander au commissaire d'insérer cette prose dans le folio de présentation.
(3) si le sujet vous intéresse, vous pouvez prolonger cette lecture via quelques autres articles que j'ai cherchés après avoir écrit tout ceci, suite à une discussion avec un ami blogueur. Deux portes d'entrée (parmi beaucoup d'autres possibles) qui traitent plus généralement de l'art contemporain, dont la photographie n'est bien entendu qu'une des composantes :
- un article à charge : "Le nouvel art bourgeois contemporain"
- un article à décharge : "L’art postmoderne comme idéologie réactionnaire"
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire