Bienvenue à Ego Land : Just Another Brick in the Wall

Je suis d’une génération qui a connu l’avènement de la télévision couleur, de l’ordinateur, du téléphone portable. Profondément technophile, j’aime l’évolution et les outils que peuvent apporter les développements les plus récents. J’ai un smartphone, une tablette, un laptop, un autre ordinateur de bureau et je n’hésiterais pas trop longtemps à acheter encore un autre produit s’il en valait la peine et qu’il pouvait me faciliter la vie. Sous certains angles, je suis en somme ce qu’on pourrait qualifier de pur produit de la société de consommation. Mais au-delà de ce constat probablement peu intéressant, je peux m’interroger malgré tout un peu plus profondément sur les conséquences de certaines choses. Et parmi ces choses, on peut citer les réseaux sociaux et le rôle pervers qu’ils ont joué sur nos vies d’individus, mais aussi de photographes.

Ce n’est un secret pour personne : le monde des photographes professionnels s’est écroulé en quelques années seulement, victime de la démocratisation des appareils photos, des sites de partages en ligne, et… des réseaux sociaux. Les dernières statistiques montrent que Facebook représentait en mai 2013 de l’ordre de 1.1 milliards d’utilisateurs actifs (1), le réseau social se taillant aussi de très loin la plus grosse part du gâteau en termes de photos postées (2). La majorité de ces photos sont sans le moindre intérêt artistique, mais il reste néanmoins que le potentiel financier que représente un tel nombre d’utilisateurs joignables (et de clients potentiels pour les professionnels de tous bords, y compris les photographes) ne peut qu’engendrer l’intérêt. En soi, quel mal me direz-vous ? C’est tant mieux si près de 15% de la population mondiale a l’opportunité à présent de pouvoir communiquer via ce moyen. Communiquer, oui, mais pour dire quoi et dans quel but ? Que la majorité de l’humanité n’ait dans le fond rien de profond à dire n’est certainement pas nouveau. Mais que cette majorité ait à présent les moyens de le faire savoir publiquement est par contre assez effrayant quant au résultat final. Les intérêts privés et la publicité ont réussi à transformer la télévision (présentée à ses débuts comme un formidable moyen d’apporter la culture partout dans le monde) en une gigantesque poubelle nauséabonde. Le narcissisme collectif et la bêtise humaine sont occupés à faire de même des réseaux sociaux en beaucoup moins de temps. On me dira que c’est l’évolution de la communication et de la société. Andy Warhol avait déclaré en 1968 que « Dans le futur, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale ». Force est de constater que cela se vérifie, mais force est aussi de postuler que ce n’est franchement pas pour le meilleur. Et c’est d’autant plus triste à mes yeux que cette évolution touche des gens que je connais et que j’estime en tant que photographes. 

Au cours de cette « évolution » des moyens de communication, j’ai vu des choses que je ne pensais même pas être possibles de la part de ces photographes que je respecte. J’ai vu un photographe chevronné et reconnu dans le domaine du nu se retrouver réduit à masquer les seins de ses modèles sur les photos qu’il poste afin d’échapper à la censure. J’ai vu un photographe intelligent se mettant à chercher sur Google ce que renvoie son nom et à en communiquer publiquement avec fierté le résultat sur le réseau social. J’ai vu un photographe que j’apprécie mendier des votes sur ses photos pour qu’elles puissent passer la barre de sélection d’un concours. Pourquoi ces personnes cultivées, douées, intelligentes, se trouvent-elles réduites à accepter l’absurde, le trivial et l’ordinaire ? Est-ce vraiment cela que l’on considère comme la prochaine évolution de la communication ? Arriver à faire adopter par des gens raffinés des comportements de masse, à leur faire exprimer les pans les plus narcissiques de leur personnalité ? Fondre dans la masse du banal et du commun le peu qu’il reste encore d’esprit critique dans ce monde ? Réduire au plus petit commun dénominateur les quelques individus qui auraient encore les capacités de comprendre le non-sens de tout ceci ? 

Pour se défendre de ces comportements vus chez d’autres et de leur propre présence parfois très affirmée sur les réseaux sociaux, ces photographes me disent entre autres que Facebook n’est qu’un moyen de communication et que ce sont les comportements qui sont à incriminer sur de tels réseaux, pas l’outil technologique en lui-même. Alors, autant que je sois clair : ce sont bien ces comportements que je critique, et ce sont bien eux qui en sont aussi les auteurs, pas seulement d’autres individus. Et je peine à voir ces personnes que j’estime se retrouver réduites à si peu de choses. Alors j’espère. J’espère qu’un jour ces personnes pourront se réveiller. Parce que je suis un rêveur. Mais rêver ne fait pas de mal, et j’espère donc aussi que ces personnes me pardonneront ma franchise assez brutale. Car en fin de compte, ce seront bien elles qui décideront ou non d’accepter ou de refuser, quoi que je puisse en dire. La liberté a un prix, celui de devoir parfois parler tout seul. Je le paie volontiers si cela me permet de ne pas devoir prendre part à ce que je vois.

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