Qui a volé la carte ?

Pour autant que vous soyez animé par le désir de progresser, quel que soit le niveau que vous avez atteint en photographie (que ce soit à vos propres yeux ou aux yeux des autres), vous avez cherché les moyens d’y arriver. Vos tout premiers pas ont sûrement concerné la bonne utilisation de votre matériel. Les suivants se sont sans doute concentrés sur la manière d'obtenir une prise de vue qui soit techniquement maîtrisée, selon les standards admis par le plus grand nombre.

Viennent ensuite des choix plus affirmés quant à ce que vous aimez réaliser et un apprentissage plus spécialisé de certaines autres techniques, selon vos goûts et vos attentes. Cette route - très balisée, linéaire et aux bas-côtés bien entretenus au départ - laisse ensuite la place à des choix à faire lorsque les premiers carrefours et les broussailles apparaissent. On continue à gauche sur la route principale, ou bien à droite sur le sentier ? Elle est où, la carte ? Et puis quelqu’un peut-il me rappeler où l’on va, d’abord ?

Dire que la destination de votre démarche artistique ne dépend que de vous est une plate évidence. Toute démarche liée à l’expression artistique est forcément singulière pour une plus ou moins large part s’il y a désir d’expression personnelle. Il n’y a donc pas de carte universelle qui serait en vente pour vous dire où aller et comment y arriver. Ce n’est pas pour autant que l’on ne peut pas construire sa propre carte en voyageant. Ce n’est pas pour autant non plus que l’on ne peut pas se fabriquer son « Petit guide du voyageur en terres inconnues (et parfois hostiles)». C’est ce guide qui pourrait être le point de départ de ce que sera votre propre carte, très personnelle.

Y a-t-il un gourou dans la brousse ?

Il est possible, voire probable, que l’un de vos premiers réflexes soit d’essayer d’identifier quelqu’un qui puisse vous servir de guide pour vous montrer ce qu’est la voie à suivre. Vous allez être servi sans avoir à chercher longtemps. Les personnes vous proposant de l’aide foisonnent dans le pays que vous vous apprêtez à explorer. Sous les apparences d’une attention très désintéressée au premier abord, comptez entièrement sur elles pour vous indiquer tout ce qui est bien ou pas bien. Elles savent ce qui est bon pour vous. Les nombreux disciples béats et buvant leurs paroles n’en sont-ils pas la meilleure preuve ? Parce que c’est leur passion de vous aider. Trop beau pour être vrai, non ? La mauvaise nouvelle est que ces personnes ne vous mèneront au mieux que sur les routes touristiques que tout le monde a déjà parcourues dans tous les sens, bien avant eux. Il ne vous faudra pas longtemps non plus pour vous rendre compte que ces personnes ne servent qu’un seul intérêt : le leur. L’objectif de ces gourous peut varier. Pour certains, les plus pragmatiques, il ne s’agit que de se construire une audience, la plus large possible, en vue de leur assurer des revenus directs ou indirects. Vous serez un client pour des produits de grande consommation. Pour la majorité des autres, c’est plus banalement l’égotisme ordinaire, qui passe par la constitution d’une cour de fervents admirateurs, dont les compliments seront les plus flatteurs possible pour leur propre travail, cela va de soi. Vous serez leur apôtre et ils seront votre étoile polaire. Ils seront au centre de tous les échanges et tout conduira invariablement vers eux. C’est d’ailleurs par ce culte de la personnalité que l’on peut les reconnaître très aisément. Essayez de critiquer ouvertement l’un de ces gourous : la violence de la réponse sera plus qu’à la hauteur de l’affront qu’il aura perçu. Je vous encourage vraiment à tenter l’expérience, vous verrez à quel point c’est instructif. Vous en avez trouvé un ? Bravo, vous savez à présent ce qu’il vous faudra éviter à l’avenir, c’est déjà mieux que rien.

Y a-t-il quelqu’un tout court ?

Ne soyez pas naïf ou narcissique au point de penser que les questions que vous vous posez sont originales à un point tel que d’autres ne se les sont pas posées bien avant vous. Cela fait des millénaires que l’angoisse du futur chemin à suivre ronge toutes les personnes qui se frottent à une discipline artistique, quelle qu’elle soit. Cela veut aussi dire qu’il y a autour de vous beaucoup d’inconnus qui en sont au même stade dans leur propre parcours et qui cherchent des réponses. Le problème est que ces individus ne publient pas de vidéos d’eux se mettant en scène sur YouTube. Ce sont des gens bien plus discrets, perdus comme vous dans les fourrés, en quête d’une piste à suivre. Et ces gens-là, vous ne les rencontrerez pas souvent sur les routes principales, qui leur paraissent assez vides de sens. Ils échangeront volontiers avec vous sur des sujets qui vous tiennent respectivement à cœur, mais ils ne le feront pas volontiers en public. Ils n’ont rien à prouver aux autres et ont peu de choses à défendre. Ils se posent des questions et cherchent des réponses, comme vous.

Et je fais quoi à présent ?

Si vous cherchez des réponses précises quant à vos questions sur la manière de tracer votre propre voie, vous n’en trouverez pas ici. Ce n’est pas une dérobade. Si ces questions sont probablement identiques pour beaucoup d’entre nous, ce sont les réponses que chacun de nous y donnera qui nous définiront et donneront du sens à notre travail. Mais on peut malgré tout identifier des éléments destinés à favoriser les choses. Prenez ce qui suit pour des conseils très personnels, que vous devez soumettre à votre esprit critique avant de décider s’ils vous correspondent ou pas. Les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Je pense cependant que ces conseils peuvent également s’appliquer très largement à d’autres contextes. Ils sont plus exigeants qu’il n’y paraît pour certains, car parfois contraires à nos tendances naturelles. 

Entretenir de vrais échanges

Cherchez ces personnes discrètes qui montrent ce qu’elles font, mais qui prennent également le temps de regarder ce que font les autres. Cherchez-les en parcourant le web si vous le pouvez, il y en a beaucoup, dans le monde entier. Demandez-leur un avis sur votre travail. Regardez de nombreuses photographies faites par d’autres et lisez les choses que d’autres écrivent. Cherchez ce qui vous interpelle. Dans tous les genres, pas que dans le vôtre. Dans tous les pays, pas que dans le vôtre. Et quand l’occasion s’en présente, ne manquez pas de parler à leurs auteurs. Les quelques échanges sincères - qu’ils soient courts ou longs - que vous pourrez avoir en privé en valent la peine, que ce soit de vive voix, par email, par téléphone. La valeur ajoutée que ces échanges sont susceptibles d’engendrer peut constituer un véritable trésor, à tout point de vue. Et vous pourriez même y gagner de vrais amis par la même occasion, ce qui ne gâche rien.

Etre critique, mais à l’écoute

Nous avons tous une capacité remarquable à critiquer la plupart des choses et des gens qui nous entourent de façon très spontanée. Chez certains, c’est une seconde nature qui n’a nul besoin d’être renforcée. Nous avons cependant une sensibilité tout aussi exacerbée quand nous sommes la cible de ces mêmes critiques. C’est un paradoxe dont il est utile de prendre conscience, pour plusieurs raisons. Juger négativement le travail artistique d’une personne sans avoir d’abord cherché à comprendre ce que nous n’en comprenons pas (quitte à poser des questions au besoin) nous prive de la richesse des réponses que nous aurions pu obtenir, et par là de tout ce que nous aurions pu en apprendre. Poser des questions d’abord pour juger ensuite, c’est se donner la chance de connaître mieux en vue de choisir de manière plus éclairée. Il n’y a aucun apprentissage issu de l’acte de juger en soi, qui est juste l’application automatique de critères personnels. La seconde raison est que nous ne jugeons que sur base de ces critères personnels dont la subtilité est plus ou moins élaborée en fonction de notre expérience et de nos connaissances. Expérience et connaissances sont très variables d’un individu à l’autre, mais évoluent aussi largement dans le temps pour un même individu. Juger sans écouter, c’est se condamner soi-même à ne pas pouvoir juger mieux plus tard. Et comment trouverez-vous des réponses à vos propres questions si vous vous privez de ce que d’autres pourraient vous dire ?

Réviser ses opinions

Il serait bien possible que votre aptitude à évoluer artistiquement soit directement liée à votre capacité à réviser vos opinions, ces révisions étant les mises à jour attendues et souhaitables suite à l’acquisition de nouvelles connaissances ou compétences. On est parfois étonné de cet attachement que certains marquent aux opinions qu’ils ont émises précédemment, comme si cela revenait à se renier, alors qu’il s’agit d’une évolution somme toute très naturelle. Vous aviez affirmé une chose dans un passé plus ou moins proche qui s’avère être aujourd’hui incorrecte, stupide et peu fondée ? Quel est le mal à le reconnaître puisque cela revient à dire que vous comprenez mieux à présent ? Réviser vos opinions, c’est aussi laisser de la place pour d’autres opinions nouvelles, plus fines et plus abouties, ce qui aurait été impossible si vous n’aviez pas fait ce sacrifice. C’est une marque d’intelligence que de reconnaître une erreur de jugement si le faire vous permet d’envisager la réalité sous un angle entièrement nouveau, plus riche et subtil. C’est voir ce qui était auparavant invisible, car caché derrière le mur d’un préjugé ou d’une croyance qui était à abattre.

Prendre des risques

Il ne peut pas y avoir d’originalité s’il n’y a pas de nouveauté, ce qui implique qu’il doit y avoir des essais de choses nouvelles. Certains de ces essais seront ratés, d’autres seront réussis. Si quelqu’un vous dit que vous faites des choses à présent qu’il n’aime pas, voire que ce que vous faites est franchement moche par comparaison à ce qu’il admirait avant de votre travail, vous êtes sur la bonne voie. Il n’est pas dit que ce que vous produirez sera forcément meilleur ni même bon dans l’absolu, mais ce que vous produirez sera plus inattendu pour vous. Vous serez occupé à défricher un nouveau terrain, et vous ne pouvez pas savoir à l’avance ce que vous trouverez sous ces friches. Prendre des risques, c’est accepter de perdre pour s’accorder la possibilité de gagner. Si vous n’avez rien à défendre aux yeux des autres, perdre n’est plus un problème en soi. Gagner par contre sera tout bénéfice pour vous.

Rester dans la zone d’inconfort

Le jour où plus personne dans votre entourage ne sera au-dessus de vous en termes de compétences ou que vous n’aurez plus d’admiration jalouse pour ce que ces personnes autour de vous réalisent, changer d’entourage. Non, vous n’aurez pas à liquider vos amis s’ils en font partie, Dieu merci pour eux, mais vous aurez à trouver des sources d’inspiration ailleurs. C’est une tendance naturelle que de vouloir être reconnu et de briller pour ceux qui vous regardent. Dites-vous cependant que vous n’aurez plus aucun progrès à espérer à partir du jour où vous regarderez vers le bas et non pas vers le haut. Vous pourriez même être amené à penser qu’il vous faut défendre un statut, une réputation ou que sais-je encore parce que vous êtes sur un sommet que d’autres se mettent à escalader à leur tour. Vous ne vaudriez alors pas plus que ces personnes qui s’entourent d’une cour. Il y a un remède simple à cela : rester dans la zone d’inconfort, en vous entourant de personnes bien meilleures que vous. Il n’y aura plus d’enjeu en ce qui vous concerne. Ils sont nettement au-dessus, vous êtes à l’évidence en dessous… et vous monterez, parce que vous regarderez à présent vers le haut et vous aurez à faire de réels efforts et à produire un vrai travail pour tenter de les rejoindre. Le jour où cette course sans fin vous déprimera, accordez-vous le droit de regarder quelques instants vers le bas. Non pas pour asseoir votre supériorité vis-à-vis de ceux qui sont en dessous, mais bien pour prendre conscience du chemin que vous aurez déjà pu parcourir.

Remerciements

Ce long billet est à nouveau le résultat de discussions très diverses que j’ai pu avoir avec des personnes tout aussi diverses. Il m’est impossible de les citer ici, mais je les remercie très sincèrement pour cela. Elles se reconnaîtront sans aucun doute dans certains passages qui leurs sont plus spécifiques.

2 commentaires:

  1. I just wanted to say that I enjoyed your writing and I fully respect your point of view. It's refreshing.
    I do struggle a bit with Google translate but it's worthy doing that :)

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  2. Thanks to you. Indeed, Google translate is far to be perfect, but I am glad that you managed to get the meaning of the text. Do not hesitate to ask if they are some obscure sections that might be of specific interest to you, so I can possibly help with the translation.

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