La Sicile en compact : voyager le coeur et le dos légers

A l'occasion d'un voyage à Syracuse en Sicile, j'ai tenté une expérience un peu folle: délaisser le lourd équipement de qualité dont je dispose pour ne partir qu'avec un simple compact très récemment acquis, sans aucune solution de secours possible. Retour sur une expérience sans garde-fou qui pourra peut-être éclairer un peu ceux qui sont confrontés à l'éternel dilemme du photographe passionné : voyager heureux et léger au risque d'être limité dans ses choix ou accepter de souffrir en refusant tout compromis ?

Si je suis parti sans aucune possibilité de recourir à un autre appareil en cas de problème, c'est parce que l'idée n'était pas de faire quelques vagues essais que je commenterais ensuite. Il s'agissait de se mettre en situation réelle et de tester à fond le choix de cette option — qu'elle s'avère être bonne au mauvaise — en faisant face aux situations les plus diverses. Les impressions dont je ferai part ici sont forcément contingentes au choix de mon matériel, mais je pense qu'elles resteront largement valables sur le plan qualitatif pour d'autres appareils, pour autant que l'on ne s'éloigne pas trop des caractéristiques de ceux que j'utilise. Pour parler concrètement, voici les deux prétendants au voyage. Dans la catégorie des poids lourds, le Canon EOS 6D équipé de son grip avec seconde batterie et d'un zoom 24-105 mm f/4 stabilisé. Résultat de la pesée avant le match : 2 030 grammes. Dans la catégorie des poids plumes, le Panasonic Lumix LX100, disposant d'un zoom 24-75 mm (équivalent), pour 430 grammes sur la balance. Un reflex à capteur plein format (20 mégapixels) d'un côté, un compact à capteur micro 4/3 (12 mégapixels effectifs) de l'autre. Combat inégal, me direz-vous ? Oui, clairement, si le combat a lieu sur le terrain du premier. Mais ça l'est beaucoup moins si tout se passe hors du ring. Et j'espère pouvoir l'illustrer à l'aide d'une sélection d'images variées.

Arrivée à Syracuse

L'entrée du vieux port de pêche

L'un des deux ponts reliant l'île d'Ortige à la ville de Syracuse


L'argument décisif: le poids 

Il ne faut pas chercher beaucoup plus loin le principal argument qui vous poussera à passer d'un reflex vers un compact ou du moins vers un hybride léger. Vous le savez bien si vous êtes coutumier du transport de votre reflex et de ses optiques sur une distance qui dépasse quelques centaines de mètres et une durée qui excède la demi-heure. Ajoutez à cela la chaleur (il peut faire 38°C en Sicile sur la côte durant l'été) et vous avez une recette qui arrivera à convaincre les plus réticents. Je n'arrive même pas à imaginer ce qu'aurait été mon séjour si j'avais dû transporter mon reflex comme je l'ai fait pour mon compact. Sans rien à porter, se déplacer relève déjà de l'exploit à certains moments. Expérience faite, je n'envisage plus de partir en voyage avec mon reflex si ceci implique de longues marches en étant chargé comme un baudet. L'âge avançant, c'est une option qui n'est plus tenable; il n'y a rien de gai à l'idée d'une promenade photographique quand vous savez que ce que vous transporterez vous fera vraiment souffrir.

Lever du jour sur les murailles à 5 heures  

L'île d'Ortige est le must pour les mariages chics


C'est quoi cette %?"*&! de zoom ? 

Une parenthèse ici pour distinguer compacts et hybrides : mis à part de très rares exceptions, les compacts disposant d'un zoom sont aussi affectés par ce qui s'avère être une réelle tare à l'usage : le déploiement du zoom est motorisé. En clair, cela veut dire que vous devrez actionner un levier pour commander un moteur qui se chargera de changer la focale. Et c'est lent.... Beaucoup trop lent. Le temps de démarrer l'appareil (1 seconde minimum) et de déployer le zoom (de l'ordre de deux secondes), tout est déjà fini et l'instant décisif n'est plus qu'un souvenir inaccessible. Pas de souci pour des prises de vue posées classiques, mais cela demande beaucoup d'anticipation (et cela relève parfois de la prouesse) si vous faites de la photographie de rue. Mais bon, en s'appliquant vraiment, on peut y arriver malgré tout, même si ça reste particulièrement pénible. Pas de souci par contre pour un hybride à objectif interchangeable, puisque la plupart de leurs objectifs peuvent être zoomés manuellement.

L'Italie sans scooter ne serait plus l'Italie

Quelques ambiances de rue (avec la présence d'indigènes)

Le point faible des compacts/hybrides : l'autofocus

Sans entrer dans des considérations techniques, la technologie utilisée pour l'autofocus sur des compacts/hybrides et sur des reflex est en général différente. Pour les premiers, il s'agit d'une technique dite de détection de contraste, tandis qu'on parle de détection de phase pour ces derniers. Ca fait une sérieuse différence à la fois en terme de vitesse et de fiabilité pour l'autofocus.Cependant, les choses évoluent rapidement aussi de ce côté-là, et les derniers modèles hauts de gamme des hybrides incluent des collimateurs dont la qualité flirte à présent avec celle des reflex. C'est probablement l'affaire de quelques années avant que l'écart entre appareil compact/hybride et reflex soit résorbé. Pour le compact qui nous concerne, c'est un vrai problème. En basse lumière ou en conditions très constrastées, l'autofocus patine et il est nécessaire de le débrayer pour faire la mise au point en mode manuel. Ce ne serait pas un problème majeur si le Lumix LX100 ne souffrait pas d'un autre problème: l'autofocus peut indiquer une mise au point correcte alors qu'elle ne l'est pas du tout. De l'ordre de 10% des prises de vue souffraient de ce problème assez imprévisible. Dans de mauvaises conditions, le taux d'échec peut monter à 50%. Mais il faut dire aussi que j'aime les prises de vue fort contrastées;  c'est donc un résultat un peu biaisé.

Derniers rayons de soleil pour les baigneurs

Ce gars fait un selfie à 6 heures du matin...


Le viseur électronique : indispensable mais perfectible

Autant le dire tout de suite: je ne comprends pas que l'on puisse être satisfait d'un appareil qui ne propose qu'une visée par l'écran, aussi performant soit-il. Je ne pourrai donc jamais envisager de conseiller à quelqu'un l'achat d'un tel appareil. Ceci étant précisé, la question est de savoir si le viseur électronique peut se substituer sans douleur à la visée offerte par un reflex. La réponse est oui, mais avec un peu de douleur quand même. La résolution des meilleurs viseurs électronique n'atteint pas encore celle d'une visée purement optique, mais là aussi l'écart se réduit et la prochaine génération sera pleinement satisfaisante sur ce point. Si vous venez du monde de la visée optique, il vous fera cependant un temps d'adaptation. Certains ne jureront plus que par la visée électronique après avoir fait la transition, mais d'autres comme moi jureront tout court (du moins dans un premier temps). Le principal avantage de la visée électronique et de vous montrer l'image telle qu'elle sera capturée et de vous permettre d'afficher une foultitude d'informations. Mais cela se fait encore un peu au détriment de la qualité de ce que l'on voit dans le viseur. Vous ne verrez pas toujours les détails les plus fins, a fortiori si vous faites des prises de vue en contre-jour avec un très fort contraste et que ce que vous voyez dans le viseur est le résultat... c'est à dire pas grand chose dans les zones d'ombres. Espérons que ça changera rapidement avec la nouvelle génération d'appareils, qui offriront une définition à la fois plus fine et une meilleure dynamique pour ce viseur.



Le linge qui pend aux balcons... c'est la Sicile


Et la qualité des images dans tout ça ?

C'est incontournable: à technologie égale, la qualité des images dépend à la fois de la taille du capteur et de la qualité des optiques que vous placez devant. Il est impossible de battre un capteur plein format muni d'un zoom de très bonne qualité... mais on peut quand même s'en approcher. Grâce aux multiples améliorations technologiques, la qualité des image ne cesse d'augmenter de manière générale au fil des années. C'est également vrai pour les compacts, qui restent cependant pénalisés dans l'absolu par la plus petite taille de leur capteur (typiquement, 1 pouce ou en deçà). Cependant, pour autant que l'optique soit bonne (ce qui est le cas du compact utilisé) et que vous restiez dans une gamme de taille de capteur et de sensibilité raisonnables (toutes les photos ont été faites à 200 ISO et le capteur est de format micro 4/3), il faut vraiment regarder de très près pour que la différence vous saute aux yeux. Toutes les images ont été prises au format raw et la dynamique du capteur s'est révélé être étonnamment bonne par rapport à ce que j'en espérais.  En pratique, cela veut dire que pour un usage "normal" — vous ne recadrez pas à la hache, vous ne faites pas des photos en haute sensibilité et vous ne faites pas du "pixel peeping" (*) — un capteur bien plus petit peut s'en sortir de manière très honorable. Suffisamment à mon sens pour que la baisse de qualité attendue reste un contre-argument dont le poids est limité compte tenu du gain en terme d'encombrement pour l'équipement. Ici, tout dépendra de votre degré d'intégrisme en termes de qualité souhaitée. De manière plus objective, je pense que cela dépend aussi largement du type d'images. Certaines s'accommodent très bien d'un piqué faible et de la présence de bruit, notamment lorsque la composition globale est forte et l'emporte largement sur les petits détails de l'image. Pour d'autres photographies, c'est peut-être un peu moins vrai.

La mer à Marzamemi, propice à la rêverie

Plus transparent que ça tu meurs (grâce au filtre polarisant)

Plus touristique que ça tu meurs aussi (mais c'est beau)

Dans le port de Marzamemi


En conclusion ?

Même si tout ne fut pas parfait et facile, je ne regrette absolument pas cette expérience. J'ai pu voyager léger et malgré tout faire des photos qui me plaisent, même si la qualité de celles-ci aurait été supérieure si elles avaient été obtenues avec un boîtier muni d'un plus grand capteur et d'une optique de qualité supérieure. Cependant, à l'exception de quelques rares photos nécessitant de très vigoureux traitements, je n'ai pas vécu cette perte de qualité comme étant une pénalité majeure. Compte tenu du fait qu'il s'agit ici d'un compact et que les résultats seront meilleurs encore en utilisant un appareil hybride muni d'une très bonne optique, j'ai du mal à présent à envisager l'idée de transporter de l'équipement lourd lors d'un voyage similaire qui serait à venir. Je pense que je vais investir dans un hybride de très bonne qualité au format micro 4/3. C'est certain, c'est un réel investissement car les prix ne sont pas significativement inférieurs à ceux des reflex, mais pour qui peut se le permettre, je pense que ce n'est vraiment pas une dépense inconsidérée et qu'elle sera très vite amortie sur base du plaisir que l'on pourra en retirer.

 Arrivée à Raguza au détour d'une route en lacet

Sur les hauteurs au centre du pays

J'espère que parallèlement à la lecture du texte vous aurez pu prendre le temps d'apprécier les images (ou l'inverse). L'ensemble des photographies issues de ce voyage sont regroupées dans cet album. Elles ont donc comme caractéristiques communes d'avoir été faites en Sicile et de toutes avoir été prises à l'aide du même appareil compact, ce fameux Lumix LX100. Il y a encore d'autres images prises lors de ce séjour, mais ça se sera pour le billet suivant, avec un thème un peu différent.

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(*) En clair, si vous ne zoomez pas à 100% sur votre écran afin d'admirer vos productions. Ca n'a d'ailleurs absolument aucun intérêt si vous vous contentez d'afficher vos image sur le web ou si vous faites des tirages qui n'ont pas une taille d'un mètre de haut ou que vous ne comptez pas regarder en utilisant une loupe.


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