Mégapixels et résolution : du mythe à la réalité

Vous vous êtes forcément posé un jour l'une ou l'autre des questions suivantes au sujet de votre appareil: "Le nombre de pixels dont je dispose est-il suffisant pour des impressions de qualité ? Pourrai-je faire des tirages au-delà du format A3? Et si je n'imprime pas en 350 points par pouce, c'est grave?". Moi aussi je me suis posé ces questions. Voici une réponse aussi objective et raisonnée que possible, basée sur des faits et non pas sur des croyances.

Il y a une chose assez amusante chez le photographe standard: c'est sa propension à s'épancher sur les aspects techniques de sa discipline alors qu'il ne dispose la plupart du temps que d'un très faible bagage scientifique lui permettant de pleinement comprendre ce dont il parle. Nul besoin de maîtriser la physique pour pratiquer la photographie au plus haut niveau, bien entendu, mais quand la discussion porte sur des aspects plus quantitatifs, on en arrive vite à des échanges qui n'ont plus beaucoup de rationalité, voire à la propagation d'informations dénuées de tout sens. Un sujet récurrent dans le domaine est celui de la résolution des appareils photos, ainsi que son implication sur la qualité des images et des tirages. Et si ce billet traitera de manière inhabituelle d'un sujet plus technique, c'est parce que j'ai moi-même été confronté à ce questionnement : le compact que j'ai acheté et qui ne dispose que de 12.7 mégapixels (Mp) me permettra-t-il de faire des impressions de qualité ? Essayons de faire un rapide tour de la question en vue de tirer des conclusions qui devraient rassurer les moins nantis sur le plan de l'équipement.

La résolution : d'où l'on vient

Je ne vous ferai pas l'injure de vous rappeler que la photographie numérique est une récente venue dans le domaine du grand public, vers le tout début des années 2000. Tout se faisait auparavant avec le film argentique. En cherchant un peu, on arrive à retrouver des informations sur la résolution de ces pellicules, dont celles caractérisées par un grain fin sur un négatif en format 24 x 36 mm comptent de l'ordre de 2 millions de cristaux (1). Lors de l'arrivée en 2003 du Canon EOS 300D, l'un des tout premier reflex numérique grand public disposant de 6.3 Mp  (2), tous les amateurs de l'époque s'accordaient pour déclarer que — dans de bonnes conditions de prises de vue et toutes autres chose étant égales — on avait dépassé ce que l'argentique était capable de faire. Cela fait donc près de 15 ans que le numérique a clairement déclassé l'argentique sur cet aspect. A cette même époque, la plupart de ces amateurs affirmaient qu'il n'y avait plus d'intérêt à augmenter davantage la résolution des appareils numériques... mais c'est tout l'inverse qui s'est produit.  

Avec 12 mégapixels, il est tout pourri mon appareil ?

Si l'appareil photographique numérique dont vous disposez est relativement récent et n'est pas un compact d'entrée de gamme, il y a de très fortes chances pour que sa résolution soit au moins égale à 12 Mp. Vous trouverez cependant toujours une âme charitable pour vous signaler que cette résolution est très en retrait par rapport aux standard actuels et que vous serez pénalisé en termes de qualité si vous voulez réaliser des tirages qui dépassent la taille d'une feuille de papier A4. A l'origine de cette affirmation, on vous avance un argument avec lequel on vous frappe comme avec une massue : vous ne pourrez pas dépasser cette taille de tirage si vous voulez garder une qualité dite "optimale", fixée à 350 points par pouce (dots per inch en anglais, dpi). Tristement, on trouve couramment cette affirmation même dans des articles écrits par des professionnels. Demandez cependant quelle est l'origine et la justification de ce nombre...les réponses qu'on vous fera seront pour le moins évasives. Demandez ensuite comment adapter ce nombre en fonction de la distance à laquelle vous regarderez votre tirage... là, c'est le silence radio. Tentez l'expérience et vous verrez bien.

L'origine du mythe magique des 350 dpi

Il y a cependant une vraie raison pour justifier cette valeur, et comprendre d'où elle vient permet aussi de prendre conscience que son utilité pratique est précisément limitée aux conditions sous lesquelles elle a été calculée. Mais pour le comprendre, il va nous falloir faire appel à deux concepts, assez simples. 

Le premier concept est celui de la plus petite distance à laquelle nous sommes capables de regarder un objet et de le voir comme étant net: cette distance est aussi appelée distance minimale d'accommodation de l’œil humain. Elle varie avec l'âge du sujet et avec ses performances oculaires, mais la valeur moyenne couramment admise est de 25 cm (3). Dit plus simplement, en deçà de cette distance, votre œil est incapable de faire la mise au point et vous ne verrez pas net ce que vous regardez. 

Le second concept est celui de la résolution angulaire de l’œil humain, qui est un peu plus difficile à expliquer. En supposant que vous regardiez tour à tour deux points distincts l'un de l'autre, vous devez donc faire un mouvement de l’œil pour passer de l'un à l'autre. Ce mouvement est caractérisé par un angle. La résolution angulaire est la valeur minimale que peut avoir cet angle pour que vous puissiez encore distinguer ces deux points sans qu'ils ne semblent plus faire qu'un. Bien entendu, votre capacité à distinguer deux points dépend à la fois de la distance entre ces deux points et de votre distance par rapport à eux, mais elle peut être résumée à l'aide de cette simple mesure d'angle (4). Si l'on connaît la résolution angulaire, on peut donc aisément calculer si deux points distincts apparaîtront bien tels quels où s'ils seront visuellement confondus. Cette résolution angulaire dépend du diamètre de la pupille et de la longueur d'onde de la lumière, mais elle est aussi affectée par les propriétés de la rétine. La valeur classiquement admise est de 1/60 ° (ce qu'on appelle 1 minute arc et qui équivaut à 0.00029 radians). C'est ce type de mesure que votre opticien utilise pour déterminer la qualité de votre vue, et la valeur de 1/60 ° correspond à une personne ayant une vue de 20/20.

Comment ces deux choses se combinent-elles pour nous aider à y voir plus clair (sans jeu de mot) ? Supposons que vous regardiez votre écran d'aussi près que possible (soit d=25 cm, qui est la distance minimale d'accommodation) et que votre résolution angulaire soit de a=0.00029 radians. La question qui se pose est de connaître la plus petite taille s que peuvent avoir des pixels adjacents de manière à ce que vous puissiez encore clairement les distinguer l'un de l'autre. Un simple calcul de trigonométrie, à savoir s=* tangente(a), vous donne directement le résultat ; cette taille vaut s=0.007 cm. Il ne reste plus qu'à compter le nombre de pixels que cela représente le long d'un pouce (un pouce valant 2.54 cm) et on arrive à la valeur de... 350,34 pixels par pouce. En d'autres termes, il est totalement inutile de chercher à produire une image ayant plus de 350 pixels par pouce (pixels per inch en anglais, soit ppi), car au-delà de cette résolution vous ne pourrez voir une quelconque amélioration en termes de qualité, même en vous collant le nez à votre écran. Votre œil en est incapable.

C'est quoi alors la "résolution" optimale ?

Au terme de ceci, on comprend un peu mieux en quoi cette valeur de référence de 350 dpi est d'une utilité toute relative. Elle suppose tout d'abord que vous regardiez vos images d'aussi près qu'il est possible de le faire à l'oeil nu, ce qui n'aura pas de sens si la taille de votre image est conséquente. On considère en effet que la distance idéale à laquelle une image est regardée pour être globalement appréhendée par un spectateur correspond grosso modo à la diagonale de l'image. Pour une dimension correspondant à une feuille de format A4, cette diagonale est de 36.3 cm... ce qui est déjà supérieur aux 25 cm utilisés pour le calcul ayant mené à la résolution optimale de 350 ppi. Très clairement, si l'on tient compte de la distance à laquelle on regarde l'image, la résolution (en ppi) que l'on pourra se contenter d'utiliser est d'autant plus petite que la taille de l'image est grande. Et tout photographe ayant fait imprimer de très grands formats le sait : pour des tailles d'impressions qui atteignent plusieurs mètres, on se contente le plus souvent de valeurs qui sont de l'ordre de quelques dizaines de dpi (5).

En pratique, si l'on considère que l'on regarde une image à une distance qui correspond précisément à sa diagonale, le seul critère pertinent est le nombre de pixels que comporte l'image (car la résolution sera à adapter en fonction de cette distance). Il est donc possible de calculer le nombre minimum de pixels dont il faut disposer afin que l'image apparaisse avec une qualité qui sera maximale lorsqu'elle est regardée à cette distance. Disposer de plus de pixels ne sera utile que si vous vous rapprochez pour en regarder le détail. En supposant une image dans le format classique 3/2, la question est donc de déterminer le nombre de pixels que cette image doit comporter pour respecter la résolution angulaire minimum de 1/60°, sachant que la distance du spectateur par rapport à l'image est égale à la diagonale de l'image (6). Le détail du calcul un peu plus long est omis ici, mais pour le format 3/2 on obtient comme dimensions 2869 pixels x 1913 pixels, soit un total de... 5,49 Mp. Nos photographes en numérique de la première heure avaient raison: il est inutile de dépasser les 6 Mp, sauf si vous aimez faire du pixel peeping (un sport très à la mode ces derniers temps parmi les photographes intégristes).

En conclusion

Clairement, la qualité d'une image ne dépend pas que du nombre de pixels que le capteur est capable d'enregistrer, puisque le bruit, la qualité des optiques et bien d'autres facteurs limitants (liés à  la fois à l'appareil et aux conditions de prise de vue) entrent en ligne de compte. Mais vous savez à présent que ce n'est pas la résolution de votre capteur qui sera l'élément déterminant: celle-ci est bien suffisante. Vous voilà à présent soulagé et aussi armé pour répondre aux critiques que l'on pourra vous faire sur votre appareil. A moins de devoir très sérieusement recadrer mes images, je suis aussi soulagé : mes pauvres petits 12 Mp sont bien suffisants (7).
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Crédit photo : AP Photo/Bebeto Matthews

(3) cette valeur est la valeur moyenne obtenue pour un sujet de 40 ans ne souffrant ni de myopie ni de presbytie. Elle augmente avec l'âge. Elle est réduite en cas de myopie et augmente en cas de presbytie.
(5) une parenthèse importante ici : les ppi se rapportent au nombre de pixels par pouce de l'image, tandis que les dpi se rapportent aux nombre de points par pouce pour le tirage; il n'y a pas une correspondance directe entre ces deux choses, puisqu'un point imprimé n'est pas l'équivalent d'un pixel dans l'image et que la technologie utilisée pour l'impression peut également varier (jet d'encre, offset, etc.). On fera ici l'impasse sur cette distinction pour ne pas noyer le lecteur.
(6) Aussi paradoxal que cela puisse sembler, la distance exacte n'a aucun impact sur ce calcul, puisque l'on considère ici que la diagonale de l'image et la distance du spectateur restent dans la même proportion. C'est tout l'intérêt du calcul également : il s'agit d'un résultat invariant par rapport à la distance.
(7) Tout le monde n'est pas de cet avis pour des raisons liées au traitement de l'image brute, en aval de sa présentation finale. L'article d'Aurélien Pierre explique les raisons pour lesquelles des images capturées à des résolutions bien supérieures sont malgré tout importantes lors du traitement du signal: https://photo.aurelienpierre.com/larnaque-des-megapixels-ou-pas/.

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